Bonjour !
Les chapitres 4 et 5, les voici ! Bonne lecture...
CHAPITRE 4
Angel Grove, 1997
Raffolant des glaces au double-parfum café et vanille, Kendrix ajouta ce plaisir à celui, enfin, de sortir dehors sans la moindre appréhension.
Elle avait gagné son combat contre le stress, la nervosité, et les crises d’angoisse avaient disparu.
Le travail avec la psychiatre avait payé : elle se sentait guérie. Prudente mais revenue des enfers de la dépression.
Elle se savait simplement distraite, parfois pensive, ou étourdie. Mais elle n’oublierait pas de terminer son délicieux sorbet jusqu’à la dernière bouchée.
Outre le suivi psychologique, le déclic demeurait également dans ce déménagement. Après l’attaque de celui qui avait vaincu les Power Rangers – revenus ensuite – Kendrix et ses parents bénéficièrent d’un logement de secours : un appartement austère, petit, malheureusement pas si éloigné du précédent. La proximité des drames, l’absence de son Speedy parti rejoindre les cieux : tout rappelait malheur et dégoût.
Certaines péripéties furent traumatisantes. Au sortir de la dépression, et au détour d’une balade dans un quartier pavillonnaire loin de tout soupçon intergalactique, elle avait croisé deux énergumènes qui lui posèrent une étonnante question :
- Euh, excuse-moi, tu n’aurais pas croisé deux bipèdes, un doré avec qui ressemble à une chauve-souris, et l’autre fait d’os ?
- Avec une grosse épée qui fait mal.
- Oui, Skull, et...
- Et des ailes qui ont repoussé...
- Sur Goldar les ailes, pas sur Rito mon bon Skull.
Kendrix avait senti les angoisses renaître, alors elle était partie en courant. Essoufflée, elle avait hurlé de terreur lorsqu’elle se retrouva nez-à-nez avec son pire cauchemar, le coupable de ses maux : ce sac d’os, à taille plus réduite que lors de l’attaque durant laquelle Speedy s’en était allé.
La rechute fut immédiate. La nervosité au maximum, l’agoraphobie ingérable, handicapante au quotidien.
Le temps, la thérapie, puis le soutien des amis et de la famille, furent essentiels pour remonter, difficilement mais avec succès, la pente.
La coquette maison bien éloignée des combats, avait tout pour plaire. Le vaste quartier de Jouvence Park conservait une bonne réputation. L’habitation, ancienne mais fraîchement restaurée sans perdre le charme d’antan, disposait d’un joli jardin aux mille fleurs colorées. Elle s’y voyait, les beaux jours d’été, dans un hamac, un bon roman à lire, ou un livre historique aux symboles à déchiffrer en se creusant les méninges.
Mais au fil des jours ensoleillés, elle vit naître une enivrante passion pour l’horticulture, la flore et les potagers. La main verte, elle excellait pour faire pousser de magnifiques et délicieux légumes, mais également des fruits et de formidables fleurs aux senteurs appréciables.
Les jours où ils faisaient moins beau, Kendrix accompagnait son père, remis sur pieds après d’interminables mois de rééducation, au centre de tir. Peu au fait des armes à feu par le passé, il avait justifié ces sessions comme du temps de loisir. Mais Kendrix savait que le passé avait marqué la famille au fer chaud et que le paternel voulait simplement assurer ses arrières et défendre les siens en cas de nouvelle agression. Alors, elle lui avait dit quelques paroles libératrices pour elle :
- Tu sais papa, les Power Rangers seront là pour nous aider si besoin.
- Tu parles, ils passent leur temps à changer de costume. Si ça se trouve, ce sont des novices qui ne connaissent rien aux attaques aliens. Juste çà rouler en ville avec leurs voitures démesurées.
- S’ils sortent ces voitures comme tu dis, c’est pour éliminer les monstres !
- On ne parle jamais des dommages collatéraux ma chérie. Les blessés, involontaires, oui, mais il y en a. Ces Power Rangers sont imprudents !
- Papa, dois-je te rappeler que le Power Ranger Blanc t’a sauvé la vie grâce à son robot en forme de tigre ?
- Oui, mais n’oublie-pas que son petit copain le Ranger Vert avec son Dragonzord m’a imposé la chaise roulante et qu’il n’était pas certain que je remarche un jour !
Son père lui montra un genou abîmé et broché :
- J’aurai des séquelles ad vitam aeternam.
Si Kendrix avait vaincu les démons, en était fière et pouvait en parler librement, son père n’arrivait pas à passer outre cette douloureuse période. Heureusement, madame Morgan poussait sa petite famille vers le haut, irréprochable dans la compréhension et l’empathie.
Un seul être lui manquait. Chaque soir sans exception, et trop souvent, Kendrix pensait à Speedy. Lorsque ses parents lui proposèrent d’adopter un autre chien, elle déclina l’offre, certaine que le seul animal de compagnie de sa vie était là-haut, parmi les nombreuses étoiles.
***
En ce jour une fois de plus garni de rayons de soleil réchauffant les cœurs et l’ambiance, Kendrix s’était décidée à courir dans l’un des nombreux parcs d’Angel Grove. Elle avait opté pour l’un des plus éloignés de sa demeure : les plaines du lycée principal. Les fantômes du passé dissipés, elle n’appréhendait point de s’approcher des zones favorites où les aliens adoraient débarquer.
Contrôlant son souffle, Kendrix habillée d’une tenue adaptée au sport blanche et grise, prit un chemin isolé qui la mena vers d’autres grandes étendues d’herbe, et vers une scène assez insolite.
Au loin, une jeune femme vêtue d’un haut rose et d’un jean bleu près d’un banc semblait guetter un buisson.
- Il y a quelqu’un ? Répondez-moi ! parla-t-elle en direction des bosquets.
- Mais elle n’a pas toute sa tête, murmura Kendrix, curieuse, qui se rapprocha et se cacha derrière un arbre.
Un individu en combinaison étonnante, noire et argentée, sortit des buissons :
- Oui, je suis là, adressa-t-il à la femme à proximité.
- Vous m’avez fait peur vous savez ! sursauta-t-elle, en prononçant des paroles suffisamment audibles pour être entendues par Kendrix, une dizaine de mètres en retrait, amusée par cette situation.
Mais l’amusement laissa place à la crainte : le soldat se transforma en cinq abominables créatures.
- Maintenant, tu as une véritable raison d’avoir peur !
Prise au piège par des plantes grimpantes pouvant ressembler à du lierre en perpétuelle expansion, la jeune femme sembla entravée : seule, elle ne parviendrait pas à s’extirper des griffes des aliens.
Kendrix savait qu’elle devait faire quelque chose : elle s’approcha pour sa cacher derrière un tronc plus proche de la scène.
Ensuite, elle se retrouva bloquée. Paralysée, tétanisée, dans l’incapacité de faire un pas de plus.
-… un plaisir d’avoir enfin la possibilité de te détruire ! ajouta le monstre blanc à la jeune femme au débardeur rose.
Le cerveau de Kendrix eut une illumination : des monstres en voulaient à cette personne. Était-elle un danger pour eux ? Était-elle l’une de ces Power Rangers Turbo ?
Sa conscience lui intimait d’agir, mais le reste de son corps refusait tout ordre. S’ils exécutaient la jeune femme, elle s’en voudrait jusqu’à sa mort.
Elle ne saurait pas : elle disparut avec les cinq intrus.
- Elle va mourir… et c’est de ma faute ! sanglota Kendrix, anéantie de ne pas avoir porté assistante à cette pauvre victime, qu’elle soit une Ranger ou non.
Après plusieurs minutes sans once de mobilité, Kendrix parvint à faire un pas en avant, suivi de pas en arrière. Honteuse et triste, elle n’aspirait qu’à rentrer chez elle, sans délai.
Franchissant le seuil de la porte d’entrée où sa mère l’attendait, elle ne pur cacher son état moral.
- Tu as fait une sacrée séance de sport ma chérie… mais tu es toute pâle, que se passe-t-il ?
Kendrix s’effondra et plongea dans d’inexorables sanglots en cherchant le réconfort dans les bras de sa mère :
- Maman, je suis une lâche !
CHAPITRE 5
- Mademoiselle Morgan, je crois qu’en définitive, vous avez bien fait de prendre rendez-vous. Cependant, je ne sens pas que je vous serai d’une grande utilité.
- Comment ça ? demanda Kendrix, étonnée.
La psychiatre ne voyait rien d’anormal dans le comportement ou dans l’angoisse de la jeune blonde à lunettes.
- Nous vivons, vous et moi, dans la ville d’Angel Grove. Nous sommes en quelque sorte, condamnés à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Un monstre qui débarque d’on ne sait trop où. Les Power Rangers qui surgissent, qui luttent avec un niveau de difficulté plus ou moins élevé, quelques bâtisses qui ne résistent pas aux assauts taille XXL, et à la fin, la paix revient. Jusqu’à l’attaque suivante, et ainsi de suite…
- Je n’en peux plus de ce cycle éternel ! Vous vous rendez compte que j’ai peur de vivre à Angel Grove, mais pas seulement : j’ai peur de vivre sur Terre !
- Le problème, c’est que ces aliens viennent de l’espace et semblent avoir un goût prononcé pour le tourisme de masse dans notre belle cité.
L’essai d’humour provoqué par la psychiatre n’eut aucun impact sur Kendrix.
- Il n’y a pas que cela… j’ai l’impression d’avoir laissé quelqu’un mourir ! Cette jeune femme, ils l’ont kidnappée, et je n’ai pas bougé un orteil !
- N’importe qui, aurait eu la même réaction que vous, la même tétanie. Et si vous pensiez que c’est une Power Ranger, elle s’en est sortie !
- Comment pouvez-vous avoir réponse à tout…
L’interlocutrice remonta ses lunettes excentriques et tendit un journal papier à Kendrix : il datait du jour, et une photo illustrait l’équipe de Power Rangers actuelle au complet.
La séance prit fin sur un goût d’inachevé. Kendrix sortit du cabinet médical en claquant la porte. Ses parents l’attendaient à l’extérieur. Ils voulurent lui parler mais elle les devança :
- Si un jour vous entendez parler qu’on offre des tickets pour l’espace, pour partir de cette planète, prenez-en trois et on se casse d’ici !
- Mais voyons Kendrix, qu’est-ce que tu racontes… rétorqua sa mère, surprise.
- Je peux la comprendre, moi, bougonna son père en remontant dans la voiture familiale. Je te comprends, ma fille. Cette planète est vérolée jusqu’au noyau. Moi aussi j’aimerai m’en aller vers une autre planète bien plus paisible. Si l’occasion se présente, je saute dessus.
- Tu as raison, papa, confirma-t-elle.
- Oui, vous êtes rigolos, mais cette option n’est pas prévue je crois, répondit madame Morgan, non sans décevoir.
***
Dans les semaines qui suivirent, Kendrix multiplia les séances de tirs, avec ou sans son père. Jugée douée par les formateurs, elle perfectionnait la visée et l’utilisation d’armes plus lourdes.
Victime de troubles en présence de foules, elle décida d’arrêter les études, malgré les promesses que les précepteurs lui accordaient : une intelligence bien au-dessus de la moyenne, des dispositions indiscutables dans plusieurs matières, et une soif d’apprendre ; mais celle-ci s’était estompée, peu à peu, ces dernières semaines.
Lorsqu’elle n’était pas au centre de tir, loin de tout cercle social ou amical, Kendrix gardait un peu de temps pour s’occuper de ses fleurs.
À l’aube de l’année 1999, la santé de son père déclina de nouveau. Une infection des membres inférieurs l’obligea à jurer fidélité au fauteuil roulant, électrique cette-fois. Et à faire l’impasse sur une très importante compétition de tir.
- Je suis vraiment désolée pour toi, papa, assura Kendrix, consciente que son père allait rater une compétition qui lui permettait de garder le moral.
- Il est vrai que je misais énormément sur cette compétition. J’avais le niveau pour y faire bonne figure. Mais jadis un Power Ranger Vert et son dragon métallique en ont décidé autrement.
Kendrix se jura que, si un jour elle croisait ce Ranger Vert, elle prendrait son courage à deux mains et irait lui dire sa façon de penser, sa tristesse et sa grande colère.
***
Un premier parcours sans faute, tout simplement. Le second quasiment parfait, une seule cible n’ayant pas été touchée. La troisième et dernière épreuve fut réalisée dans un chronomètre frôlant la référence.
- Mademoiselle Morgan, vous êtes la digne héritière de votre père ! félicita l’un des juges.
Essoufflée, surprise mais satisfaite, Kendrix s’inclina et une médaille d’argent vint auréoler une remarquable prestation, conclut par quelques mots mystérieux d’un autre juge :
- La digne héritière de ton père, mais aussi sa digne remplaçante pour la formidable aventure qui s’offre à toi !
- Une aventure ? Quelle aventure ? interrogea Kendrix, surprise.
Mais l’interlocuteur se préoccupait déjà d’un autre lauréat.
Elle se tourna vers le premier venu également couronné et lui posa la question :
- Excuse-moi, je vais peut-être passer pour une demeurée comme d’habitude, mais quelle est cette formidable aventure ?
Le jeune garçon aux traits asiatiques et aux cheveux bruns désordonnés éclata de rire :
- Attends, tu ne sais pas pourquoi tu es là ?
- Un concours de tir et c’est tout… j’ai remplacé mon père au pied levé.
Le garçon observa Kendrix comme s’il s’agissait d’une extra-terrestre fraîchement débarquée.
- Je ne vais pas avoir le temps de t’expliquer, je suis désolé, un ami m’attend pour me conduire chez toi mais un conseil : commence à préparer tes valises.
Avant de partir, il ajouta quelques mots de présentation :
- Je m’appelle Kai Chen. On se reverra sur la station spatiale. Ciao !
- Moi c’est Kendrix Morgan, et d’accord on… quelle station spatiale ?
***
Lorsque Kendrix rentra chez elle après un court voyage en autobus, ses parents la félicitèrent chaleureusement. Son père annonça son extrême fierté et sa mère, un peu sur la réserve et préoccupée par le programme télévisé retransmettant une compétition de son sport favori, la gymnastique, lui annonça toute sa reconnaissance.
- Kendrix, c’est absolument fabuleux, tu as fait des scores incroyables ! sourit son père en lisant la fiche de bilan de la prestation de sa fille.
- Je te remercie, papa. Cependant, je voudrais te parler de la récompense que j’ai eu, je ne comprends pas ce que…
Son père l’interrompit :
- Allons continuer de parler… dans la cuisine… on dérange ta mère qui est à fond dans cette demi-finale des Pan Global Games.
- Je suis désolée, mais la tension est à son maximum ! C’est une gymnaste du coin qui est en lice : Kimberly Hart ! C’est celle avec la tenue rose ! Je suis à fond derrière elle !
Kendrix aida son père a rallier la cuisine, toujours trop étroite pour le passage d’un fauteuil roulant d’une telle envergure . Elle lui servit un café et s’octroya un jus de goyave. Puis elle s’assied face à lui.
- Papa, c’était quoi exactement ce concours ? Une sélection pour une expérience ?
Son père sourit :
- Pour la plus grande expérience d’une vie, ma fille chérie.
- Tu peux m’expliquer ?
Son père, qui ne perdit pas le sourire, démarra :
- Depuis plusieurs mois, un organisme chapeaute la construction d’une immense métropole dans un dôme, destinée par quitter la Terre vers l’espace. Un véritable écosystème qui se veut le moins artificiel possible, censé partir, partir loin pour trouver d’autres galaxies habitables.
Il reprit une grande gorgée de café, se racla la gorge et poursuivit :
- La compétition que tu as réalisé avec brio, offrait aux meilleurs, un billet permettant d’accéder à ce gigantesque vaisseau. Au début, je comptais participer afin de partir, et j’aurais acheté d’autres billets si vous vouliez me suivre. Mais, avec ma santé défaillante, j’ai dû me faire une raison : les hôpitaux d’Angel Grove font un travail formidable et sans eux, je ne serai peut-être plus de ce monde. Ils ne pourront pas me rendre le total usage de mes jambes, mais nous ne sommes pas à l’abri d’un miracle, même si je dois attendre un, cinq ou dix ans.
Kendrix commença à réaliser : son père lui annonçait clairement qu’une porte de sortie se présentait face à elle. La possibilité de tout recommencer, hors de cette maudite planète bleue qui lui avait apportée, selon elle, davantage de souffrance que de joie, devenait réalité.
- Papa, je ne sais pas quoi dire… ce départ, j’en ai tellement rêvé… mais tu en as rêvé davantage… tu es sûr ?
- Absolument sûr. Et de toute façon, ta mère ne veut pas partir. Elle trouve cette idée de voyage intergalactique loufoque, et elle tient à ses soirées poker et potins avec les nouvelles copines du quartier.
Une larme, puis deux, coulèrent sur les joues de Kendrix, heureuse mais nerveuse.
- Maman est au courant ?
Cette dernière entra dans la cuisine, en pleurs :
- Je le suis, ma chérie… et tu ne peux pas savoir comme je suis partagée entre la peine et la joie. La peine de te voir, sans doute, partir, sans que nous puissions te revoir avant bien des années. Et de la joie, car tu vas accomplir ton souhait le plus cher.
- Nous avons conscience, non sans tristesse, que la Terre n’a plus rien à t’offrir, alors, tu auras tant à offrir à Terraventure.
La famille Morgan, unie dans cette nouvelle épreuve, se prit dans les bras. Kendrix glissa son regard et parvint à inclure Speedy, présent dans son cœur et dans la pièce, au travers d’une photo trônant au-dessus de la hotte aspirante.
Elle emporterait cette photo sur Terraventure, le moment venu.